Wladimir Kaminer
Odessa 1887-Birkenau 1942
par Catherine Madillac
Wladimir Kaminer est né le 17 juillet 1887 à Odessa (Russie), fils d’Abraham et de Débora Kaufmann, son épouse. Son père, Abraham, Jacob, lui-même né à Odessa le 19 novembre 1865, est médecin. La famille quitte la Russie et arrive en France en 1887. Nous retrouvons leurs traces lorsque la cour d’appel de Bordeaux (Gironde) examine, le 7 septembre 1895, la demande de naturalisation d’Abraham Kaminer, docteur en médecine, domicilié à Saint Cyprien (Dordogne) où il s’était établi. Il est à noter que la famille réside, depuis 1896, au 16 rue d’Alsace-Lorraine à la Garenne-Colombes où le docteur Kaminer a son cabinet.
Nous supposons que cette naturalisation semble avoir été ajournée car Abraham Kaminer a été surveillé par la Sureté générale(1). En effet, en 1890 il est dénoncé par l’ambassade de Russie comme soupçonné de fréquenter des membres du parti nihiliste. Une enquête est diligentée par la police, une surveillance est exercée mais cette dernière ne relève rien de répréhensible, Abraham Kaminer est noté comme ne s’occupant pas de politique et la famille jouit d’une bonne réputation, la naturalisation lui est finalement accordée le 5 mars 1904(2). Cette procédure concerne également son épouse et ses trois enfants : Wladimir né le 17 juillet 1897 à Odessa ; Salomon, Joseph né le 26 avril 1890 à Paris et Renée, Sophie née le 1er mai 1898, également à Paris.
Si sa scolarité élémentaire nous est inconnue, nous savons que Wladimir Kaminer a été élève, au moins de 1900 à 1904, au lycée Condorcet, à Paris(3). Il figure au tableau d’honneur pour l’année 1900-1901. Néanmoins, sa scolarité est fluctuante, ses notes oscillent de 5/20 à 16/20. Il semble plus à l’aise dans l’apprentissage de la langue anglaise où sa moyenne est de 14/20. Il est décrit comme un élève intelligent et persévérant. Une appréciation donne « enfant vif, bien doué mais brouillon, remuant et bavard ».
Au terme de sa scolarité secondaire il s’oriente vers des études de chirurgien-dentiste et intègre l’école de chirurgie dentaire, à Paris. Son dossier(4) nous apprend qu’il entame son cursus le 13 novembre 1905 et le termine le 30 novembre 1909 par l’obtention de son diplôme de chirurgien-dentiste.
Appelé au service militaire (classe 1908, numéro matricule 2733)(5), il est réformé n°2 le 2 novembre 1909 par la commission de réforme de la Seine pour « arthrite osséo fémorale droite et atrophie musculaire considérable ». Il n’est donc pas soumis à la conscription, pas plus qu’il ne participera à la Grande Guerre. A l’inverse de son frère Salomon (classe 1911, numéro matricule 3652) qui, affecté au 101e régiment d’infanterie comme infirmier (il est étudiant en médecine), sera nommé médecin auxiliaire en 1915 et sera « tué à l’ennemi » le 24 avril 1918. Il avait été blessé en 1916 et cité à l’Ordre de l’armée puis du régiment et décoré de la croix de guerre avec palmes.
Wladimir épouse le 1er juillet 1915 Raymonde Bach, née le 24 juillet 1893 au Havre (Seine-Maritime), fille de Arthur Bach et de Jeanne Worms. Ils auront trois fils, tous nés à Paris : Maurice, André, Charles le 28 juillet 1916, Guy, le 30 mai 1921 et Claude, Joseph le 4 décembre 1923.
L’acte de naissance de Maurice indique que les époux Kaminer demeurent au 4 boulevard de Sébastopol, à Paris 4e arrondissement. Wladimir y possède également son cabinet dentaire. La vie, tant de famille que professionnelle de Wladimir nous est peu connue sauf que ce dernier a quelques loisirs. Ainsi, en 1931 il est membre honoraire de l’association cyclotouristique « Audax »(6) et en 1935-1936 membre de la société préhistorique française(7). Entre ces deux dates il sollicite son entrée en franc-maçonnerie, en l’occurrence à la Fédération française mixte et internationale, le Droit Humain. Le 22 février 1932 il frappe à la porte de la loge Harmonie.
Les archives du Droit Humain ont été volées, détruites en grande partie pendant la guerre, le reste des documents, lacunaire, ne nous a pas permis de savoir si Wladimir Kaminer a été accepté ou s’il a abandonné son projet de devenir franc-maçon. Bien qu’en 1937, le 10 novembre, on trouve trace dans un programme de tenues (réunions maçonniques) d’une autre loge parisienne, Art et Pensée, du passage sous le bandeau(8) de Monsieur W. K. Serait-ce Wladimir Kaminer qui aurait persisté dans sa demande d’appartenir à une autre loge du Droit Humain ? Rien, dans l’état actuel des archives, ne permet de l’affirmer ni de le réfuter.
(Collection privée)
Juin 1940 : l’invasion. Nous ne savons si la famille Kaminer prend le chemin de l’exode. Elle se soumet au recensement d’octobre 1940, au moins les deux parents. Comment vit-elle l’Occupation ?
Nous savons que les époux Kaminer ne portent pas l’étoile jaune et qu’à ce titre ils sont en infraction avec l’ordonnance du 28 mai 1942, laquelle oblige tous les Juifs, au-delà de 6 ans, à porter, bien en évidence cette marque de stigmatisation.
Le 26 août 1942 les époux Kaminer sont contrôlés à leur domicile(9) par deux inspecteurs de la police aux questions juives qui constatent qu’ils ne portent pas l’étoile, deux témoignages, l’un d’une concierge du boulevard Sébastopol et l’autre d’une commerçante du quartier(10) confirment que les époux Kaminer n’ont jamais été vus portant l’étoile jaune.
Le sort de Wladimir et de Raymonde Kaminer est, lui, vite scellé, ils sont déférés au commissariat du 4e arrondissement puis transférés à Drancy et ensuite au camp de Pithiviers (Loiret) le 4 septembre et déportés le 21 septembre 1942 à Birkenau par le convoi n° 35. Vu leur âge et leur état de santé - Raymonde Kaminer souffrait énormément des jambes et la station debout lui était extrêmement pénible(11) - nous pensons qu’ils ont été exterminés dès leur arrivée.
Wladimir Kaminer n’ aura pas vécu la dernière humiliation que lui avait été réservée par le régime de Vichy, en l’occurrence son interdiction d’ exercer en mars 1943 en vertu du décret du 5 juin 1942. Une sorte de persécution post-mortem...
Les trois fils des époux Kaminer survivront à l’Occupation ainsi que son père Abraham. Guy Kaminer a participé à la Résistance depuis 1941, il a été décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze(12).
Catherine Madillac (septembre 2022)
(1)AN : 19780332/40 dossier 5395.
(2)AN : BBX11 numéro 5552 x 95.
(3)Archives de Paris : D 4 T 3- 224.
(4)AN : AJ/16/ 7838.
(5)Archives de Paris : recensement militaire.
(6)Gallica/BNF.
(7)Ibid.
(8)Bandeau : passage, les yeux bandés, devant une assemblée maçonnique, avant un vote acceptant ou non le postulant.
(9)Service historique de la Défense-Caen. 21 P 467 830.
(10)Mémorial de la Shoah. CCCLXXIX-47.
(11)Le témoignage de son médecin traitant se trouve dans son dossier détenu par le SHD-Caen. 21 P 467 829.
(12)SHD-Vincennes. Dossier de Guy Kaminer, GR 16 P 316 366.