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Quand on s’appelle « Schraiber », on écrit…. (2/3)

Par Evelyne Schreiber-Rival 

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       Le premier né, Sacha, est-il le fils de sa première femme, Anna Nemirovskaya, épousée en 1884 ou de tout autre conquête féminine ?  Le doute est permis, confirmé par le divorce des époux et le fait que Sacha n’ait pas été élevé par Anna Nemirovskaia, mais par la seconde épouse de son père, Rosalia Ossipovna Fischmann, ma grand-mère, qui eut la générosité de le traiter comme son propre enfant.

Rosalia Ossipovna

       Sur la photo que j’ai d’elle, Rosalia Ossipovna, native de Jitomir, l’un des berceaux du judaïsme hassidique, semble s’être parfaitement adaptée aux coutumes d’Odessa. C’est une belle femme épanouie, autour de la trentaine.  Ses cheveux blond roux ne sont pas couverts à la juive et elle est vêtue à l’occidentale. L’expression de son visage est douce et avenante. Celle d’une mère attentive à chacun des membres de sa nombreuse progéniture. Bonne musicienne, c’est elle qui transmit le goût et le don de la musique à ses enfants dont l’un d’entre eux, le dernier né, en fit sa brillante carrière.

 

      Les arts et les lettres étaient très encouragés au foyer de Boris Efimovitch et de Rosalia Ossipovna. Mon père y fait référence dans l’un de ses deux romans autobiographiques, malheureusement inachevés. Selon le vœu de leur père, écrit-il, toute la fratrie fut exposée dès l’enfance à plusieurs disciplines artistiques ou littéraires afin que, plus tard, chacun puisse faire ses choix de vie en connaissance de cause. Ainsi, outre leur excellente éducation scolaire, chaque enfant s’adonnait-il, qui à la musique, qui à la peinture, qui à la littérature.

       Très formatrices aussi étaient les soirées à la maison où l’on accueillait fréquemment la jeune génération des littérateurs de la Russie du sud, les Edouard Bagritski, Valentin Kataïev, Iouri Olesha. Nina Berberova en atteste dans la nécrologie qu’elle consacra en 1947 à Kostia, le dernier né de la famille. 

 

      L’usage familial de la langue russe, plutôt que du yiddish, ne faisait pas oublier au père de famille les fréquentes invocations au Très Haut, ni les traditions hébraïques. La Pâque, notamment, était toujours joyeusement fêtée Bolchaia Arnaoutskaia avec famille et amis.

 

      Sacha, le premier né, fut aussi le premier à quitter le nid familial. Contrairement à ses frères, il ne fit pas d’études universitaires, mais s’engagea très jeune dans la carrière théâtrale sous le pseudonyme de Sacha Olenine. Alternativement acteur et/ou régisseur selon les engagements, il quitta assez vite Odessa pour s’installer dans l’Oural où il mena l’essentiel de sa carrière artistique. Cet éloignement lui évita les horreurs du nazisme, mais, ayant survécu, il en fut le triste messager auprès de mon père après la guerre. Jusque-là, ses lettres pleines de petits potins sur les uns et les autres, avaient un ton léger. Il s’y déclarait tout à fait satisfait de la vie soviétique allant même jusqu’à quelque couplet à la gloire de Staline !! Mais c’était peut-être pour amadouer la censure et se faire pardonner de conserver des liens avec un frère émigré.

Grisha

       Grisha, mon père, né quatre ans après Sacha est curieusement considéré par tous comme l’ainé de la fratrie. Sérieux, travailleur, grand lecteur, Grishik comme  l’appellent les siens, est sans doute celui qui suit de plus près les traces de son père. Avocat à la cour d’Odessa comme lui, il collabore lui aussi régulièrement à différentes publications. C’est, par ailleurs, un excellent violoniste et un peintre de talent, ce qui lui fut fort utile lors de sa première émigration à Istanbul où il put ainsi gagner – maigrement – sa vie. Il doit sans doute à son professeur de peinture, le famélique Ivan Ivanovitch, enfant du peuple sa prise de conscience des malheurs du peuple russe sous l’autocratie tsariste et sa détermination à changer les choses. A 14 ans, élève du Lycée Richelieu, il dirige une cellule du parti Socialiste Révolutionnaire (SR) et participe activement à la révolution de 1905. Ses parents jugèrent d’ailleurs plus prudent de l’envoyer ensuite finir ses études à Berlin à l’abri de la police du tsar et de ses prisons…

Gregoire Schreiber

       Je ne reviendrai pas sur sa vie d’exil en exil – il y faudrait un livre entier – mais je pense qu’il sut maintenir, tout au long de son sinueux parcours, qui compris aussi un exil niçois pendant la guerre, l’esprit d’Odessa en s’adonnant quasiment sans interruption, en dépit des circonstances à la musique, à l’écriture et à la peinture, tout en exerçant la profession de Conseil juridique pour nourrir sa famille. En fin de vie, il se mit avec enthousiasme à l’aquarelle.La production de cette période, ajoutée aux huiles qui me restaient après des ventes successives, me permit d’organiser pendant l’été 2018 au charmant Musée de Moret-sur-Loing une jolie rétrospective d’environ 70 de ses œuvres, intitulée d’Odessa à Samoreau.

 

       Benedict, dit Bouzic, est le troisième membre de la fratrie. A la lecture de ses lettres, j’ai adoré cet oncle qui se décrit comme « un rêveur à la petite barbiche et à l’abondante chevelure ébouriffée ! » Dans sa jeunesse, il taquina la Muse ! Fut-il symboliste, acméiste ou futuriste, je l’ignore, car je n’ai pas réussi à mon passage au Musée de la Littérature d’Odessa à en trouver la trace.  D’ailleurs, sans doute écrivait-il ses poèmes sous un pseudonyme qui m’est inconnu.

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