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" Objets transmissionnels – Liens familiaux à la Shoah "

Borzykowski-Lew

     « Qu’est-ce qui relie un cintre cassé, une nappe, une poupée qui pleure, un bloc de verre jaune, une cuillère aux insignes du IIIe Reich et une pile de chapeaux ?

 

      Tous sont des objets reçus, récupérés et conservés par des personnes de la deuxième ou de la troisième génération après la Shoah, ou par d’anciens enfants juifs cachés pendant cette période. Chacun de ces objets constitue une énigme et nous nous sommes efforcés, en association étroite avec leur détentrice ou détenteur, de mettre en avant les histoires vers lesquelles ils nous ramènent, ainsi que le lien transgénérationnel au génocide qu’ils révèlent. 

 

     Cet ouvrage est une production culturelle issue d’une enquête ethnographique et photographique sur la mémoire familiale de la Shoah, qui a débuté en 2016. Lancée dans le cadre du « Réseau Deuxième Génération[1] », elle s’est poursuivie dans des lieux choisis par les détenteurs d’objets, lesquels nous ont toujours accueillis avec générosité et hospitalité. Qu’ils en soient ici remerciés.

 

      Ces quarante portraits et récits publiés ici ont été collectés à Genève, en Suisse romande et en France voisine. Cet espace géographiquement restreint permet néanmoins d’accéder à des récits qui couvrent toute l’Europe et au-delà, puisque la plupart d'entre eux racontent la trajectoire de familles ayant migré dans cette région avant, pendant, et surtout après la Shoah. L’enquête offre donc une portée beaucoup plus large que l’espace local dans lequel elle a été réalisée. 

 

    Ces récits sont représentatifs de trajectoires juives européennes liées à ce passé bouleversé. Ils proviennent principalement, et par ordre de fréquence, de Pologne, de France, de Suisse, de Hongrie, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Russie, d’Ukraine, de Belgique, de Lituanie, de Turquie et d’Égypte.

Au sein de cette diversité, certaines particularités ont pu être décelées. Ainsi, un bon nombre de témoins sont eux-mêmes des enfants cachés ou des descendants d'enfants cachés ; seules quelques personnes nées après 1945 sont les descendants de rescapés des camps de concentration. Cette caractéristique reflète le taux de survie extrêmement bas des Juifs déportés. 

      Par contre, celles et ceux qui s’expriment ont presque tous des parents, des aïeux et des membres de leur famille déportés ou assassinés dans l'une ou l'autre des circonstances mortifères créées par le régime nazi. Notre livre met en avant des parcours et des histoires de survie, mais aussi le lien à ces disparus, tels qu’ils ont été vécus, transmis dans la mémoire familiale et nous ont été présentés.

 

       Enfin, notre quête a croisé le chemin de plusieurs personnalités du monde scientifique, artistique ou littéraire, comme l’écrivain Joseph Joffo - qui nous a quittés récemment-, Dania Appel, Boris Cyrulnik, Abram de Swaan, Marion Feldman, Katy Hazan, Michel Kichka et David Sander. Concernés par ces questions et trouvant notre sujet suffisamment neuf et stimulant, ils nous ont fait l’honneur d'y participer en s’interrogeant sur le phénomène complexe dont ces portraits sont porteurs. Certains d’entre eux ont même souhaité se prêter à notre enquête, en se racontant eux-mêmes à travers un objet qui les relie à ce passé.

 

       Conjointement à celles des auteurs, leurs contributions originales sont présentées au début de l'ouvrage, transmettant connaissances et matière à réflexion sur des thèmes aussi divers que le rôle des objets, la trajectoire des enfants cachés, l’art-thérapie, les relations familiales et intergénérationnelles, octroyant à notre recherche un caractère résolument transdisciplinaire.

 

       Dans la seconde partie, le lecteur aura accès aux quarante portraits et récits, fruits de notre enquête. Cette disposition de l’ouvrage en deux volets n'oblige pas le lecteur à s’engager dans une lecture linéaire ; celui-ci est invité à circuler librement de l’un à l’autre, selon ses envies et préoccupations. 

 

     Les témoignages ont fait l’objet d’une mise en récit par les co-auteurs, toujours en lien étroit avec les sujets, et quelques-uns en ont rédigé eux-mêmes tout ou partie. Si quelques libertés ont été prises dans la construction de la trame narrative et concernant la priorisation de certains éléments, nous avons pris un soin particulier à préserver une certaine vérité d’énonciation et à respecter l’exactitude des faits, des lieux et des évènements. 

 

       Chaque récit est précédé d’un portrait photographique, réalisé par Michel Borzykowski, et qui sauvegarde la trace du lien entre la personne et son objet transmissionnel, lequel se trouve ainsi révélé au grand jour, dans certains cas pour la première fois. »

Michel Borzykowski et Ilan Lew (juin 2024)

[1] Le « Réseau Deuxième Génération » est un espace de réflexion, de partage et de création réunissant une fois par mois une trentaine de personnes, enfants cachés et descendants de survivants ou de victimes de la Shoah. Il a été fondé le 27 janvier 2015 à l’initiative d’Ilan Lew, de Michel Borzykowski et d’Anita Halasz, à la Communauté Israélite de Genève et en partenariat avec le Cercle Martin Buber et l’Institut de Recherches Sociologiques de l’Université de Genève. 

       Michel Borzykowski est né à Genève de parents juifs polonais rescapés de la Shoah. Médecin généraliste désormais à la retraite, il se consacre à ses passions : la musique (en particulier le klezmer et les diverses musiques juives), la nature, l’apiculture, ainsi que la photographie. Co-initiateur et co-animateur du "Réseau 2G" qui réunit à Genève des personnes de deuxième et troisième générations après la Shoah, il s’est investi dans le projet "Objets transmissionnels" comme capteur et transmetteur de témoignages, en paroles et en images.

      Ilan Lew est chercheur associé en sociologie à l'Université de Genève et à l'EHESS, Paris, en parallèle à son métier dans l'enseignement et la formation d'adultes. Ses recherches portent sur les violences et la mémoire collective, sujets pour lesquels il a effectué des séjours, notamment au Center for Interdisciplinary Memory Research à Essen (Allemagne) et à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris. Plus récemment, il a ajouté une dimension artistique à ses travaux : ainsi dans « BabelCam », des documents filmiques interrogeant la place des langues dans la globalisation ; ainsi que dans le projet « Objets transmissionnels » dont il est co-auteur.  Enfin, il est le responsable du Cercle Martin Buber, une association culturelle et pacifiste juive à Genève.

Michel Borzykowski et Ilan Lew, " Objets transmissionnels – Liens familiaux à la Shoah ", Éditions Slatkine (2019) 

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