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Mémoires et Nostalgie

Témoignages

          Sandrine Treiner raconte cette histoire : «  La nuit lorsque tout le monde dort, les chiens d’Odessa, orphelins de tous les émigrés qui ont quitté la ville au XXe siècle pour échapper aux pogromes, à la famine, à la guerre, à l’occupation, à l’oppression, hurlent leur chagrin et invitent au retour.» 

          Odessa, ville portuaire d’Ukraine sur les bords de la mer Noire, a toujours exercé une fascination rêveuse. Elle a engendré des pages entières de littérature, trouvé sa place dans des carnets de voyage tenus par des écrivains qui sillonnaient la Russie au XIXe siècle. Elle a également inspiré des démarches picturales, cinématographiques et des œuvres artistiques les plus variées.

 

          Cette ville convoque l’imaginaire et son évocation déclenche souvent un sentiment de profonde nostalgie chez ses exilés et, plus surprenant encore, chez leurs descendants. Plusieurs nouveaux ports d’attache de ces hommes et ces femmes, qui ont fui les pogromes qui sévissaient à Odessa et dans toute la Russie à la fin du XIXe siècle, sont rebaptisés « Little Odessa » ou « New Odessa », dans une référence directe au lieu d’origine. Ceci laisse supposer que cette ville n’était pas un lieu où s’écoulait une vie « ordinaire ». Sinon, comment expliquer le maintien d’un tel attachement, d’un tel lien symbolique ?

 

           Mais de quoi se nourrit cette nostalgie ? Quels sont les rêves qui hantent les imaginaires de ces êtres habités par le regret d’un temps révolu ? Certes, Odessa n’est pas une légende - même si la limite entre mythe et réalité devient parfois ténue avec le travail du temps - car elle est riche en événements historiques pour une « ville nouvelle ».

 

         Odessa déclenche des échanges passionnés, mais invite aussi au voyage et à la rêverie. Au temps d’un Empire russe contraignant, elle fut une cité de rêve pour les Juifs persécutés venus s’y réfugier. Elle fut à ce point idéale que son évocation continue de nourrir les songes des exilés et des descendants de ces exilés. La plaie de l’arrachement à la mère-patrie est toujours à vif : on peut en mesurer la profondeur dans les groupes de discussions sur internet.

          

          Ces pages tenteront d'analyser l’intensité de cet attachement viscéral, de cette fusion maternelle des habitants avec leur ville. Elles s'attacheront à trouver le meilleur angle de vue pour identifier dans chaque discours l’espace de vérité entre imaginaires et réalités. Cette Odessa d’une générosité légendaire envers les Juifs a-t-elle vraiment existé ? « Où suis-je ? Dans quel rêve suis-je éveillé ? », écrit Emmanuel Dreyfus, un témoin, sur son « pèlerinage » à Odessa. Cette cité n’était-elle au fond qu’une image idéalisée, une ville illusoire fantasmée par ses exilés et ses descendants, un « vieux rêve intime » ? Comme il est dit communément, l’histoire n’était-elle pas trop belle pour être vraie ?

 

       Les témoignages sont une voie d’accès aux représentations d’une époque ou d’un événement. Le questionnement des mémoires individuelles confronté aux sources écrites, à la littérature secondaire et aux archives  est essentiel pour faire ressurgir le passé et élaborer des réponses. En outre, un témoin interrogé voit invariablement le « monument » Odessa du lieu où il se trouve avec sa sensibilité, son histoire, ses préjugés et ses souvenirs mais il le voit aussi différemment d’autres témoins placés en d’autres points. Cette prise en compte des individualités et donc de la multiplicité des angles d’approche découle du choix de sortir des descriptions standardisées, de dépasser le projet d’écrire un simple récit de faits.

 

          Des témoignages divers seront tissés dans cet "espace réservé" aux épanchements des âmes et à de nombreuses citations littéraires.  Les voix de la petite et de la grande Histoire s'enrichiront dans un échange constant, dans une dialectique des compléments. Elles pourront ensuite trouver "refuge" dans la toute jeune maison d'édition Farlag créée par Daniel Kennedy et Fleur Kuhn-Kennedy, des Amis d'Odessa.

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