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Mes origines odessites (2ème partie)

D’après « Histoire de la Famille » d’Yves Rechner (1923-2016)

       B) La branche de Bessarabie : Breitman et Wolffensohn

 

       Les Breitman(n)

 

       C’est le nom de jeune fille de ma grand-mère. L’arbre généalogique des Breitman (Brot = le pain, en allemand et en yiddish ?) remonterait à un meunier fin XVIIIe siècle. Au XIXe, on trouve deux générations de médecins. Un Breitman aurait épousé la fille du Rabbin Abel Shalit, un « rabbin miraculeux », personnage versé dans le Talmud mais certainement aussi guérisseur, capable de guérir, connu par la tradition orale. La famille est alors en Bessarabie, alors province Russe, aujourd’hui à la fois Moldavie et Ukraine, pas loin de Kichinev.

 

      La fille du rabbin, Bella Shalit (1845 ? -1880 ?), épouse Iskof Breitman, officier de santé dans l’armée russe (né vers 1840, mort vers 1880). Ils ont deux fils, ce qui était peu pour l’époque :

 

  • Georges Grégoire Breitman (1859-1918 ou 1924 ?) nait à Ananiev, en Bessarabie russe, en 1859. Il émigre après les pogroms et épouse, à Vienne vers 1880 Tatiana Berkhoff (1862-1931). Un de leur fils est Lucien Breitman (1890-1984), que nous retrouverons plus tard.

 

  • Samuel ou Samouil ou Camille Breitman (1861-1905) est aussi né à Ananiev. Il épouse Sophie Wolffensohn (1867-1944), mère de ma grand-mère Yvonne (1900-1979). Sophie est une jeune fille de solide instruction. Elle était née à Odessa. C’est probablement dans cette ville qu’ils firent connaissance, très jeunes, sans que l’on sache comment (les lycées n’étaient certainement pas mixtes à l’époque). Odessa était le grand centre commercial et universitaire du sud de la Russie, ils étaient tous deux venus y faire des études, mais le climat était malsain pour les juifs et les poussaient au départ, ce qui les sauva probablement.

 Samuel Breitmann et Sophie Wolfensson-Breitman, arrière grand-père et arrière grand-mère.

Samuel Breitmann et Sophie Wolfensson-Breitman, arrière grand-père et arrière grand-mère

     Ils quittèrent la Russie pour échapper aux pogroms et (comme Zacharia Rechner) au numerus clausus dans les universités (les juifs devaient avoir non seulement 10/10, mais « le signe+ ». Samuel et Sophie n’étaient ni croyants ni pratiquants, mais libres penseurs, et avaient complètement rompu avec les traditions religieuses de leurs parents et grands-parents. Ils admiraient la France, pays des Droits de l’Homme. Dès leur mariage, vers 1885-6, ils décidèrent de partir. Sophie, dont on raconte qu’elle ne possédait qu’une robe vive, dit adieu à sa grand-mère qui l’avait élevée et prit le train avec son jeune mari pour Berlin. Faute d’argent, ils auraient terminé le voyage à pied, arrivèrent enfin à Paris où ils se marièrent dans le 13e arrondissement (1891) et vécurent dans une chambre sans confort. Sophie donna des leçons de mathématiques et il commença des études de médecine qu’il acheva 6-7 ans plus tard (il présenta sa thèse en 1892).

 

        De cette famille fut issu Lucien Breitman (1890-1984), médecin, homme politique, poête, qui lui-même fut le père de Georges Breitman (médecin), Michel Breitman (écrivain) et Jean-Claude Deret-Breitman, acteur, metteur en scène, chanteur, lui-même père d’Isabelle Breitman (dite Zabou Breitman, comédienne et metteur en scène de théâtre et de cinéma). Toutes leurs biographies sont disponibles sur Wikipedia.

 

       Les Wolffensohn

 

      D’après les documents de naturalisation française, les parents de Sophie étaient Simon Wolffensohn Simon, né en Russie, et Anna Rowluskaya, née en Russie. On ne sait rien des origines de cette dernière (peut-être non juive). Resterait d’elle une photo (non attestée) d’une femme soignée dans sa coiffure et ses vêtements. Yvonne (Breitman, épouse Rechner) racontait que sa mère vivait à Beltzy (ou Bãlty, ville de Moldavie au nord de Kichinev), où l’hiver était très froid (on versait des seaux d’eau dans la cour de la maison pour s’adonner aux joies du patinage sur la glace).

 

       Sophie raconta beaucoup d’histoires sur ses origines à sa fille et écrivit une nouvelle qui fut peut-être publiée dans le journal « L’Œuvre » dans les années 30 (ce journal de centre gauche n’avait pas encore basculé dans l’admiration du nazisme et la collaboration). Cette nouvelle s’intitulait « Le samovar » et évoquait le grand pot à eau chaude qui trônait sur son buffet à Paris (il a disparu). 

 

      Sophie et Samuel étaient domiciliés à Artenay (Loiret), ils furent naturalisés français en 1897, soit 10 ans après leur arrivée en France. Si Samuel Breitman décéda assez rapidement (à 44 ans), son épouse eut une longue vie (77 ans) et mon père Yves garda un souvenir ému de sa grand-mère, décédée pendant la 2e guerre sans avoir pu revoir sa fille, alors réfugiée en zone Sud.

      Les deux enfants du couple, Yvonne et Léo, naquirent en France et ne connurent pas la Russie. Yvonne épousa Paul Rechner, et Leo, qui épousa Germaine Claisse, n’eut pas d’enfants.

 

 

        C) La descendance odessite : les familles Rechner et Breitman

 

        Paul Rechner (1899-1970), grand-père d’Alain Rechner

 

    En 1899, Zacharie constate que son épouse Rose Rachel est enceinte d’un troisième enfant. Pour des raisons idéologiques, il décide qu’il doit naitre en Russie, dit la tradition orale :

 

       Lorsque qu’avec sa femme Rachel, Zacharie eut la joie d’espérer un troisième enfant, ils se concertèrent et décidèrent que « Si c’est un fils, il faut qu’il naisse en Russie, afin qu’il puisse jouer son plein rôle de citoyen dans la future Russie républicaine et socialiste, celle d’après cette Révolution tant espérée que les proscrits appellent de toute leur âme ». Ils n’étaient pas encore naturalisés français, et espéraient qu’un jour leur fils puisse librement choisir leur nationalité. Cela témoigne de leur idéalisme, et explique que la famille fut soulevée d’enthousiasme lorsque la Révolution russe éclata (mais ils en furent déçus par la suite).

 

      Ainsi, Rose fit en 1899 le voyage de Paris à Sébastopol (en train ?), et Paul Isaac Rechner naquit en octobre 1899 dans la maison de ses grands-parents maternels Haïm et Tatiana Pecker. Il fut aussi circoncis (il livra un récit coloré de la cérémonie familiale dont il était persuadé de se souvenir). Tout ceci cependant pour son malheur, car entre 1940 et 1944 il eut les pires difficultés pour échapper aux nazis et aux collaborateurs français. Son acte de naissance fut rédigé par un rabbin de Sébastopol et non par l’administration civile russe. 

 

      Zacharie, au retour, fit traduire l’acte de naissance à la mairie d’Andrésy : il comprend deux dates (13/25 octobre 1899) du fait du calendrier russe. Si Paul Rechner était né en France, il n’eut probablement pas été circoncis : aucun des enfants Rechner, Sophe, Hélène, Paul, n’eut d’éducation religieuse. Il resta dans la famille une petite Thora de voyage et un portrait de rabbin, et quelques argenteries pour la plupart disparues ou vendues pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

       Paul Rechner, plus tard, a fait un récit de son retour de Sébastopol à Paris : 

 

     « Trois semaines après le départ, Rose et Paul voyagent, cahotés dans un express qui met trois jours pour arriver à Paris, sur des rails de tous les pays des Balkans, dans un wagon en bois verni qui s’emplissait de plus en plus à chaque arrêt, tant était grand l’attrait de la France et de Paris. Tous les quatre (Rose, le bébé Paul, les deux filles Sonia et Lena- Sophie et Hélène) étaient sur les chemins de la Liberté, les enfants protégés et enveloppés dans la grande cape de laine écossaise, tous les trois soutenus par les bras inlassables de leur mère) ».

 

     La suite de l’Histoire de la famille est une longue histoire, très bien contée par Yves Rechner dans ses Mémoires. Notamment sur les sœurs de Paul, tantes de mon père :

 

      Sophie (Sophe, Sonia) Rechner (1895-1962), trois fois mariée, épousa André Abrahmovitch, Boris Korsunsky (dont elle eut un fils, André), puis Joseph Rosenfeld (sans enfant).

Hélène (Lena) Rechner (1896-1974), qui resta célibataire.

 

      Après cette deuxième « génération odessite » vint la troisième génération : Yves Rechner (1923-2016), ingénieur et statisticien, et Luc Rechner (1924-2006), ingénieur et artiste peintre, qui fondèrent chacun une famille « de quatrième génération » avec des non-juives, dont sont issus leurs enfants, qui ont tous actuellement entre 60 et 73 ans et perpétuent la mémoire de leurs ancêtres.

 

       Yves et Micheline (Vincenot) Rechner eurent trois enfants : Alain, Dominique, Joëlle, qui, à eux trois, ont eu 5 enfants et ont 5 petits enfants.

     Luc et Annie (Dufour) Rechner eurent 4 enfants : Jean-François, Sophie, Isabelle et Nicolas, qui à eux tous ont eu 7 enfants, qui ont 7 petits enfants actuellement (mai 2023).

 

      La descendance odessite Rechner des 4e, 5e et 6e générations est donc constituée de 25 personnes, garçons et filles, soit une très large cousinade... La doyenne de la famille, Micheline, a 99 ans à la date de rédaction de ce texte (17/5/23).

 

      A noter que d’une génération à l’autre se transmettent des professions récurrentes : médecin, ingénieur, professeur, acteur, artiste peintre, architecte, et tous plus ou moins musiciens amateurs. 

 

 

CONCLUSION

 

       En 1899, ce fut donc le dernier voyage de la famille Rechner en Russie, avant que moi, Alain Rechner, arrière-petit-fils de Zacharie, petit-fils de Paul, fils d’Yves, ne décide de partir sur les traces de mes ancêtres, dans la Russie des tsars devenue URSS, en octobre 1975. Entre temps passèrent les révolutions de 1905 et 1917, deux guerres mondiales, la Shoah, la guerre froide, qui amenèrent espérances, déceptions, et peur d’une nouvelle persécution à laquelle certains échappèrent, d’autres malheureusement pas. 

 

       La famille, portée par l’idéal d’une France républicaine, laïque, fidèle à sa devise Liberté-Egalité-Fraternité, tenta de conserver le souvenir de ses origines par les récits et les écrits, mais ne renoua jamais avec les traditions juives de ses ancêtres, leur préférant la France, puis l’Europe.

 

       C’est très récemment, avec l’irruption de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, que ressurgirent les vieux démons qui nous ramenèrent à penser à nos origines d’Odessa, de Sébastopol, de Bessarabie, et nous poussèrent à accueillir en avril 2022 une famille ukrainienne dans notre foyer.

 

ALAIN RECHNER, MAI 2023

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