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Brody, de la splendeur à l’anéantissement

En souvenir d’un voyage de la mémoire en Galicie organisé par l’association culturelle Valiske.

​par Jacqueline Pollak

     Brody, jadis surnommée la Jérusalem galicienne ou la Jérusalem de l’Empire austro-hongrois, n’est plus aujourd’hui qu’une petite ville de province ukrainienne repliée sur elle-même. Au XIXe siècle, c’était la deuxième grande ville de Galicie orientale, après Lemberg (Lviv aujourd’hui). C’était aussi la ville la plus juive d’Europe car on y comptait 88 % de Juifs en 1827.

     Aujourd’hui, on n’y trouve plus de communauté juive, il n’y reste même pas une dizaine de Juifs. La superbe synagogue du XVIIe siècle n’est plus qu’une impressionnante ruine, le cimetière juif, immense et magnifique, est par contre presque intact. Juste au fond du cimetière, une paysanne travaille un champ de fraises situé au-dessus d’une de ces fosses communes où les nazis et leurs acolytes ukrainiens jetaient les corps des Juifs qu’ils venaient de fusiller à l’endroit même ou dans le ghetto de Brody.

 

      Sa richesse, Brody la devait à sa situation à la frontière entre l’Empire austro-hongrois et l’Empire russe, ce pourquoi l’empereur Joseph II d’Autriche lui accorda le statut de ville franche en 1778.  Elle devint alors un des plus grands centres commerciaux de l’Empire austro-hongrois, traitant avec les deux Empires rivaux, avec l’Europe occidentale et même avec l’Empire ottoman. Les banquiers et les marchands de Brody ne pouvaient pas manquer de s’intéresser à Odessa, la russe, ville franche elle aussi, et dotée d’un port de commerce sur la mer Noire, donc la voie ouverte vers les détroits, la Méditerranée et le grand commerce international.

Synagogue de Brody

      Les hommes d’affaires et l’intelligentsia de Brody avaient naturellement adopté le judaïsme des Lumières, la Haskala. Ils jouèrent un rôle capital dans l’expansion des Lumières juives en Russie, notamment à Odessa. C’est sous leur influence que les Juifs odessites adoptèrent un mode de vie occidental, cependant sans oublier leur judéité; ils s’intégrèrent parfaitement et brillèrent dans tous les domaines, les affaires mais aussi la musique, les arts, la littérature et les sciences. Grâce à eux, à Odessa, les Juifs connurent un âge d’or qui dura de 1850 à 1905.

 

      Ce "bonheur juif" fut une première fois obscurci en 1881 lorsque, suite à l’assassinat du tsar Alexandre II, attribué à tort aux Juifs, 214 pogromes furent commis en Ukraine, dont plusieurs à Odessa et dans ses environs. C’est en masse que des Juifs de la Zone de résidence juive prirent la fuite vers l’ouest, dans le but d’émigrer aux États-Unis, en Argentine ou en Europe de l’ouest. 20 000 d’entre eux se réfugièrent à Brody, première ville après la frontière et ville juive. Les grandes associations juives galiciennes et internationales accoururent au secours des réfugiés.

 

      Le déclin de Brody avait commencé en 1879 lorsque la ville avait perdu son statut de zone franche. En 1914, la cité fut incendiée par l’armée russe. Et la seconde guerre mondiale fut fatale aux Juifs de Brody, 12 000 personnes furent exterminées. La communauté juive ne se reconstitua pas après la Shoah.

 

      La Galicie orientale fut en effet un des théâtres de la Shoah par balles : 500 000 Juifs y furent assassinés, les survivants furent rarissimes. A Stanislawow  (Ivano-Frankivsk d’aujourd’hui) par exemple, 127 000 Juifs sont passés par le ghetto. En se cachant dans des malinas, des bunkers improvisés, 150 ont survécu, une quantité microscopique. Plus nombreux furent les rescapés, 2500, qui revinrent après avoir passé la guerre en URSS. Ils avaient choisi de s’engager dans l’Armée Rouge ou avaient été déplacés en Sibérie ou dans les steppes de l’Asie centrale soviétique, à l’abri de l’armée nazie qui fut battue à Stalingrad.

 

     A la chute du communisme, ce fut à nouveau l’hémorragie, la plupart des Juifs encore présents en Galicie choisirent d’émigrer vers d’autres républiques soviétiques ou vers des pays de l’ouest et Israël.

 

     A la différence d’Odessa, ce fut le coup de grâce pour le judaïsme galicien qui ne s’en releva pas. La ville de Lviv, anciennement Lemberg ou Lwow, 700 000 habitants, compte aujourd’hui une communauté juive de 4 000 personnes, mais il ne s’y trouve personne qui soit originaire de la ville d’avant 1939. A Ivano-Frankivsk (autrefois Stanislawow) qui abrite 200 000 habitants, le dynamique rabbin Moshe Kolesnik compte 170 fidèles et pour Pessah, il ne parvient à en réunir que 30. Dans les petits shtetleh, c’est encore pire : on y croise une synagogue sans rabbin et une autre où, parmi les quelques dizaines de fidèles, aucun n’est juif selon la halacha.

 

     Le judaïsme agonise dans une région qui fut jadis un des grands foyers de la Yiddishkeyt, avec la Haskala, le hassidisme et toute une intelligentsia, citons Shmuel Yoseph Agnon , Bruno Schultz, Simon Wiesenthal et Joseph Roth, illustre natif de Brody, et bien d’autres...  Un monde aujourd’hui quasi disparu.

(juin 2019)

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